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La fin de l’agile, vraiment ?

May 3, 2024
foggy road

Katie Moum - unsplash

Passé ce titre, pourtant moins racoleur que certains qui s’efforcent d’affirmer que l’agilité n’est plus, analysons le pourquoi d’un tel débat. S’il devait y en avoir un. Avant de démarrer, soyons clair que cet article ne reflète que ma pensée et n’est là que pour tenter de vous donner plus d’éléments de réflexion sur le sujet.

Agilité – une idée noble

A aucun moment l’agilité n’a été définie comme une méthode, une pratique, un cadre de travail ou un mode, comme certains peuvent l’appeler. L’agilité par définition est une qualité et agile, un adjectif permettant de qualifier une situation, un contexte, un groupe d’individus ou même une organisation dans son ensemble. On est ou l’on devient agile

Quand on parle « d’Agile » en anglais, on aborde une infinie variété de sujets qu’il ne faut pas confondre. Cela rassemble un ensemble de pratiques, manières de travailler ensemble permettant avant tout de développer de manière empirique des produits, fonctionnalités ou services utiles au plus grand nombre. C’est avant tout une culture, un état d’esprit, un ensemble de comportements qu’il est préférable d’avoir pour faire face à des situations complexes. Ne parlons donc plus de méthode agile. Les principes et concepts décrits dans l’Agile Manifesto sont là, censés, simples et semblent toujours valables aujourd’hui. Qui ne souhaite pas s’adapter face au changement, favoriser les interactions et la collaboration entre individus mais surtout finir par aboutir ensemble à proposer les meilleures expériences possibles.

Enfin, sans vouloir entrer dans le détail des concepts sous-jacents mais intrinsèquement liés à ce sujet de l’agilité, n’oublions pas que les notions d’efficience, de lean, d’excellence opérationnelle sont la fondation même de ce que nous souhaitons qualifier d’agile. Et ces sujets sont eux aussi loin d’être nouveaux pour nos organisations, industrie ou société moderne.

Un terme qui a perdu son sens

Soyons maintenant réalistes, quand on parle d’agilité aujourd’hui on assiste souvent à un mélange de critiques acerbes, de vécu plus ou moins douloureux ou encore de haine pure et simple envers cette idée. La source d’autant de négativité est multifactorielle et complexe à envisager dans son ensemble mais essayons tout de même de comprendre pourquoi cet état de fait.

Les individus, équipes et organisations pionnières de l’agilité ont ressenti à l’aube de l’ère du numérique le besoin urgent de trouver de nouvelles manières d’avancer ensemble. S’éloigner de la bureaucratie pour se concentrer sur l’essentiel, l’artisanat au sens le plus noble du terme et la recherche constante de qualité mais surtout en privilégiant l’intelligence collective et humaine. Cette nouvelle culture et ses modèles se sont construits autour de ce sentiment fort, permettant une adoption profonde et visible. Finalement les ingrédients étaient réunis pour que ce changement s’opère, un constat d’urgence puis une vision ont permis d’établir une tête de pont, de nouvelles règles du jeu partagées avec le monde.

L’effet Mode

Par la suite, des organisations entières se sont tournées vers des modèles d’agilité pour suivre une tendance, une mode “sûrement passagère” mais que l’on se doit de suivre de prêt si cette histoire devenait sérieuse. Souvent pour de mauvaises raisons, sans besoin impérieux et pressant de se réorganiser face à un monde évoluant de plus en plus rapidement. Ajoutez à cela un accompagnement au changement raté et une culture inadaptée et vous obtenez la recette de l’échec. 

Dans une méthode en cascade, peu d’improvisation, une fois le flux d’activités identifié et les rôles attribués, chacun sait ce qu’il a à faire pour faire avancer le train. On découpe le problème et on bat la cadence pour le résoudre. Un modèle finalement inné pour la plupart d’entre nous car peu éloigné du Taylorisme, doctrine d’organisation du travail depuis plus d’un siècle déjà. En face et très rapidement, nous avons vu naître Crystal (1991), Scrum (1995), Extreme Programming ou XP (1999) puis à l’échelle SAFe, Nexus, Large-Scale Scrum (LeSS) ou Scrum@Scale. Et la liste n’est pas du tout exhaustive. Les organisations se sont retrouvées face au dilemme de devoir faire des choix structurants sans forcément avoir l’accompagnement et le conseil approprié. On peut facilement imaginer la déstabilisation que cela représente si en seulement quelques mois les rôles de chacun sont redéfinis, impliquant donc un changement profond des responsabilités et des comportements à avoir pour chaque situation à tous les étages de la hiérarchie. En résumé le chaos et tout le désespoir et la frustration qu’il peut représenter. Soyons clairs, beaucoup de personnes ont souffert de ces situations de transformations mal amenées. Passer d’un système procédurier et cadré dont chaque rôle, tache et élément est définit à un système ““Agile”” extrêmement différent dans son approche et vous obtenez la méthodologie à LA RACHE. De cette manière vous créez déjà le terreau qui servira la cause anti agile et à raison.

Des mythes tenaces

Depuis plus de vingt-cinq ans de nombreux mythes autour de l’agilité se sont ancrés dans l’inconscient collectif. L’agilité en est même devenue une blague. Qui n’a jamais entendu, pour justifier des choix un peu hasardeux et mal préparés : “nous sommes agiles après tout”. Malheureusement l'industrie du conseil n’aura pas toujours été à la hauteur en ne faisant pas l’effort de professionnaliser suffisamment ses consultants mais surtout d’éduquer les clients en leur faisant comprendre que se lancer dans l’aventure agile est une décision radicale accompagnée d’un long chemin de transition pour en tirer tous les bénéfices attendus. Les organisations se sont laissées aveugler par les sirènes de cadres de travails “sûrs” (safe en anglais), représentant une opportunité de changer de contexte en achetant un modèle sur étagère. De nombreuses équipes projets se sont aussi vues devoir implémenter Scrum du jour au lendemain, laissées seules face à un guide léger mais largement sujet à interprétation dans lequel il était pourtant indiqué que ce cadre était “difficile à maîtriser”. 

Les organisations se sont retrouvées face à des difficultées presques insurmontables telles que : un leadership qui ne s’est pas adapté à cette nouvelle norme, une agilité loin d’être holistique laissant de côté des pans entier de l’entreprise, une culture qui n’a pas évoluée encourageant des comportements inadaptés, une émergence soudaine de nombreux problèmes cachés pour lesquels personnes n’était préparés, des systèmes de livraison de valeur obsolètes n’ayant pas évolué, une incapacité à s’améliorer en continu, un manque cruel de formation et professionnalisation des Scrum Masters et Coachs créant un climat de méfiance vis à vis de ces “facilitateurs de rituels ou cérémonies”, une application chaotique et parfois arbitraire de tel ou tel cadre de travail, des Product Owners sans ownership… Et je suis sûr que vous pouvez trouver d’autres exemples malheureux à ajouter à cette liste.

And now?

Aujourd’hui, le mal est fait, ce terme n’est plus que l’ombre de ce que les premiers acteurs auraient souhaité qu’il devienne. Faudrait-il utiliser un autre mot? Ne serait-ce pas se voiler la face un peu plus que de se convaincre de cela?

Jamais les principes et concepts fondamentaux de ce que représentent l’agilité n’ont été aussi importants. Dans une société, un monde où la vitesse d’adaptation est cruciale, il serait totalement absurde de tourner le dos aux approches empiriques reposant sur l’expérience et l’observation. Blâmer un guide, un cadre de travail, une méthode et fuir la réalité n’est sûrement pas la solution. Non il n’existe pas qu’une agilité, c’est à chacun, chaque organisation de s’approprier et créer collectivement une culture et des manières d’évoluer ensemble pour le meilleur et pour le pire. Telle ou telle pratique ne vous convient pas? Changez et essayez en une autre, pourquoi s’acharner si après avoir rassemblé toutes les conditions nécessaires vous n’y arrivez pas? Vous noterez que réunir les conditions nécessaires est un critère de succès et que si vous n’engagez pas des moyens et une volonté suffisante votre approche n’est peut être pas pleinement consciente et honnête. Un environnement adapté composé d’individus volontaires et bienveillants verra toujours fleurir des succès. Après tout, la recherche de coupables reflète la difficulté que nous avons à faire évoluer notre culture nous permettant finalement de construire un futur proprement agile.


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